Le voyageur qui s’arrête à Gruyères, séduit par un site incomparable peut être décontenancé. On trouve en effet des foisons de « Gruyères » sur le chemin de migration de ces échassiers. Tôt l’oiseau est devenu symbole de vigilance, de longévité, voire d’éternité. On le découvre dans le blason de la Haye, puis dans les Ardennes, en Bourgogne, en Suisse romane, en Savoie et enfin en Provence.
Le village voisin de Grandvillard porte 2 grues affrontées et le marquisat de Vignon en Provence une grue à deux têtes couronnées d’or. Le symbole porte aussi des mystères. En Haute Savoie existe un village nommé aussi Gruyères, qui comporte aussi comme une constellation les villages de Pringy, Epagny, La Tour, Grand Villard (Grandvillard en Suisse). Cette constellation se retrouve au
pied du Moléson !
A Epagny, vestiges de l’âge du Bronze, de Hallstatt, tombes de La Tène (325-250 av. J.-C.), vestiges d’une villa du IIe-IIIe s. et nécropole du haut Moyen Age ; occupation romaine vraisemblable sur la colline. C’est au pied du château que le comte de Gruyère se fit construire, et au sommet de cette colline contrôlant la vallée supérieure de la Sarine, que Gruyères allait se développer.
Ville de marché avant 1195/1196 (celui-ci est alors supprimé au profit de Bulle), elle se composait de deux parties distinctes: le château et ses dépendances, le bourg édifié le long d’une rue centrale, protégé par une enceinte, dont subsistent de nombreux vestiges (remparts, portes, tours).
En 1397, le comte Rodolphe IV confirma les franchises de Gruyères, qui reprenaient celles de Moudon.
Gruyères eut un Conseil de douze membres dès 1434, deux dès 1455, d’abord sous la présidence d’un représentant du comte, puis de la ville de Fribourg dès 1555.
Gruyères fut la capitale du comté jusqu’en 1555, celle du bailliage de la Gruyère jusqu’en 1814, de la préfecture, puis du district jusqu’en 1848, baillis puis préfets logeant au château. Les parties les plus anciennes remontent au début du XIIIes.; d’autres (entre autres les appartements) furent reconstruites après l’incendie de 1493. Le château fut vendu en 1849 par l’Etat de Fribourg à la famille Bovy de Genève, puis passa par mariage en 1861 aux Balland, famille d’industriels en horlogerie. En 1938, le gouvernement fribourgeois le racheta et entreprit de le restaurer et de l’aménager en musée historique. L’une des salles baillivales, recouverte de boiseries Régence, fut décorée par Jean-Baptiste Corot dès 1852.
Au spirituel, Gruyères relevait à l’origine de la paroisse de Bulle. Le comte Rodolphe III fit construire l’église Saint-Théodule, consacrée en 1254, pour desservir les villages de la rive gauche de la Sarine, au sud de Bulle. Dès cette date, Gruyères constitua une paroisse, dont se séparèrent La Tour-de-Trême en 1600, Neirivue en 1609, Le Pâquier en 1919. Les tombeaux des comtes se situaient sous l’autel de Saint-Michel. Deux incendies détruisirent la paroissiale, le premier en 1670, le second en 1856, seuls la tour et le choeur furent épargnés.
L’église restaurée fut consacrée en 1860. Le droit de patronage, primitivement au chapitre et au prévot de la cathédrale de Lausanne, passa en 1555 au clergé local. La chapelle des comtes, sur l’esplanade du château, était dédiée à saint Jean-Baptiste (deux vitraux de la fin du XVe s.). La chapelle de Saint-Maurice, desservant l’hôpital, fut construite en 1431. La chapelle du Berceau, dédiée à saint Sébastien et saint Roch, fut édifiée en 1612, après la peste de 1611 qui
avait provoqué la mort de 140 personnes.
Durant la guerre de Trente Ans, des soeurs bernardines et des soeurs
visitandines réfugiées de Besançon et Dôle s’installèrent à Gruyères; les secondes, présentes de 1639 à 1651, tinrent une école pour les filles. Une école primaire, destinée surtout aux garçons, existait dès le XVe s., une école « régionale » servit au XXe s. à l’enseignement secondaire, donné à Bulle depuis 1973. Gruyères abrita une maladrerie (mentionnée en 1341) et un hôpital ou hospice, fondé au milieu du XVe s., encore en activité dans la seconde moitié du
XIXe s. Une construction annexe de l’hôpital a abrité les écoles primaires jusqu’en 1988, puis, après restauration, un établissement médicosocial.
De 1891 à 1925, les soeurs d’Ingenbohl dirigèrent à Gruyères l’institut Saint-Joseph pour sourds-muets, qui fut déplacé en ville de Fribourg.
Gruyères fut un lieu de marché et de foires (six par an) important, le marché ayant été rapidement rétabli après sa suppression en 1195/1196. On y vendait et achetait du fromage, des grains (mesures à grains en pierre), du gros et du petit bétail. La prospérité de Gruyères s’explique par le fait que, jusqu’en 1767, la route de la Haute Gruyère passait par la colline; un autre chemin passait par Pringy et Le Pâquier. Le déclin des marchés et des foires commença après
l’ouverture de la route de plaine passant par Epagny (future route cantonale).
Gruyères comptait plusieurs moulins et scieries, ainsi qu’une poudrière (XVIIIes.). Des fontaines remplacèrent les puits dès 1755. Deux haltes de chemin de fer desservent Gruyères, celle de Pringy sur la ligne Palézieux-Montbovon (1903) et celle d’Epagny sur la ligne Bulle-Broc (1913).
Au début du XXIe s., le secteur primaire fournit la matière première à deux entreprises agro-alimentaires (fromage et produits carnés); la fromagerie de démonstration de Pringy a été l’une des premières en Suisse (1969). Le travail du bois (charpenterie, menuiserie) constitue également une activité majeure; le tressage de la paille a disparu au début du XXe s. Le secteur tertiaire est surtout représenté par le tourisme, d’été et d’hiver.
La station de ski Moléson-sur-Gruyères date des années 1960 (nouveau funiculaire en 1998), l’aérodrome de la Gruyères est inauguré à Epagny en 1963.
Depuis 1998, le Musée HR Giger (art fantastique) est installé au château Saint-Germain. La ville, attraction touristique renommée, figure depuis 1961 à l’inventaire des sites protégés.